Marziyeh Ghobadi – Experte en droit international
À première vue, le génocide semble être un terme politique ou médiatique, mais en réalité, il s’agit de l’un des concepts les plus précis et rigoureux du droit international. Ce terme a été forgé en 1944 par Raphael Lemkin, un juriste polonais. En 1948, avec l’adoption de la « Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide », il est devenu l’un des piliers du droit pénal international.
Cette convention définit le génocide comme « l’accomplissement de certains actes dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Pour comprendre cette définition avec précision, nous devons prêter attention à trois catégories d’éléments :
- a) Éléments matériels (Actus Reus) : La Convention introduit cinq actes spécifiques comme actes génocidaires :
- Meurtre de membres du groupe : L’élimination physique et directe d’individus en raison de leur appartenance au groupe cible.
- Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe : Torture, viol ou actions psychologiques qui brisent la santé physique et mentale des membres du groupe.
- Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle : Telles que priver une population de nourriture, de médicaments, d’eau, de logement, ou bombarder les infrastructures vitales de manière à rendre la survie collective impossible.
- Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe : Restrictions sévères à la reproduction, destruction des centres de santé et de maternité, ou même la séparation forcée des hommes et des femmes.
- Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe : Enlèvement ou déplacement forcé d’enfants pour effacer l’identité du groupe d’origine.
- b) Élément mental/moral (Intention spéciale) : Ce qui distingue le génocide des autres crimes de guerre et crimes contre l’humanité est « l’intention spéciale » (dolus specialis). Cela signifie que les auteurs doivent consciemment et délibérément chercher à détruire, en tout ou en partie, un groupe. La simple survenue de meurtres, de destructions et de déplacements massifs ne suffit pas. Les tribunaux ont constamment souligné qu’il doit être démontré que l’« objectif premier » est la destruction d’un groupe.
- c) Élément mental (Intention et connaissance) : L’élément mental complète l’intention spéciale. Pour que le génocide soit réalisé, il est nécessaire que le criminel ou auteur du génocide soit conscient des conséquences de ses actes et que son intention soit précisément dirigée vers la destruction du groupe. Pour cette raison, dans la pratique judiciaire, les déclarations publiques des dirigeants politiques et militaires, les ordres donnés ou les slogans appelant à la destruction jouent un rôle essentiel pour prouver cette intention. Dans les affaires du Rwanda et de la Bosnie, les tribunaux se sont appuyés à plusieurs reprises sur de telles déclarations et slogans pour prouver l’élément mental.
Expériences des Tribunaux Internationaux
L’expérience pratique des tribunaux internationaux a montré que ces concepts ne sont pas restés uniquement sur le papier :
- Dans l’affaire Akayesu devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), les juges ont déclaré que les meurtres et viols généralisés contre le groupe ethnique tutsi ont été perpétrés avec l’intention de les détruire et constituaient un exemple clair de génocide. Ce fut la première fois qu’un tribunal international reconnaissait la violence sexuelle comme un outil de génocide.
- Dans l’affaire de Srebrenica devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), le meurtre de plus de sept mille hommes musulmans bosniaques a été reconnu comme un génocide. Un point important dans cette affaire fut que le tribunal a indiqué que même si l’ensemble de la population bosniaque n’avait pas été détruite, la destruction d’une partie spécifique et substantielle d’un groupe pouvait également constituer un génocide. La Cour internationale de Justice (CIJ) a également, dans l’affaire Bosnie c. Serbie, confirmé que la Serbie avait violé son obligation de prévenir le génocide.
Ces arrêts ont démontré que le droit international peut, bien que tardivement, réagir face aux grands crimes contre l’humanité.
Cas et Allégations de Génocide par le Régime Israélien à Gaza
Aujourd’hui, le terme « génocide » est redevenu saillant dans le discours juridique et politique ; cette fois-ci en lien avec la guerre de Gaza. En janvier 2024, l’Afrique du Sud a porté plainte contre le régime israélien devant la Cour internationale de Justice. La Cour avait alors ordonné que le régime israélien devait prendre des mesures immédiates pour prévenir les actes de génocide, assurer la fourniture de l’aide humanitaire et éviter l’incitation publique à la destruction des Palestiniens. En décembre 2024, Amnesty International a officiellement déclaré qu’il existait des preuves suffisantes de la survenue de crimes génocidaires contre les Palestiniens. Human Rights Watch, dans un rapport, a considéré la privation délibérée de Gaza d’eau, d’électricité et de médicaments comme un cas de soumission à des conditions de destruction. Un Rapporteur spécial de l’ONU a déclaré en mars 2024 qu’au moins trois des cinq actes génocidaires s’étaient produits à Gaza. Et enfin, en septembre 2025, la Commission d’enquête indépendante de l’ONU a officiellement annoncé que le régime israélien avait commis un génocide. La commission a précisé que ce régime avait perpétré quatre des cinq actes visés par la Convention et que les déclarations des responsables du régime israélien indiquaient une intention de détruire un groupe national (les Palestiniens). Le régime israélien a fermement nié ces allégations, qualifiant les rapports de « partialux et déformés ». Cependant, le volume accumulé de preuves, des arrêts de la Cour internationale de Justice aux rapports des organismes de défense des droits de l’homme, montre qu’un dossier sérieux et lourd se construit contre Tel-Aviv.
La Communauté Internationale Face à un grand Test
Il faut noter que l’accusation de génocide est l’accusation la plus grave en droit international. Les expériences du Rwanda et de la Bosnie ont montré que l’indifférence de la communauté internationale entraîne un coût humain lourd. Aujourd’hui, la question est : Le monde a-t-il tiré les leçons de ces expériences, ou la politique l’emportera-t-elle une fois de plus sur la justice ?


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